Recherches en mouvements démissionnaires

Si tout le monde parle de la « grande démission » (Great Resignation), c’est qu’en 2021, les États-Unis ont compté 47 millions de démissionnaires. En France, au premier trimestre 2022, ce sont 520 000 personnes qui démissionnent, dont 470 000 depuis un CDI. Toujours en France, parmi les 25 millions de salariés, 74% se sentent psychologiquement absents de leur travail et 10% sont diagnostiqués en burn-out sévère.

Il serait abusif d’en conclure que les travailleur.se.s se détournent définitivement et massivement du travail pour mener une vie loin de l’exploitation. Ces démissions nombreuses sont toutefois le signe d’un doute sérieux à l’endroit de l’institution Travail qui génère de la souffrance, de l’insatisfaction, et une sensation irrépressible d’aller à l’envers du sens commun.

Nous souhaitons recueillir les récits de ces démissions en cours : leurs histoires, le sens qui leur est donné, les circonstances d’un travail à quitter, les projections vers l’après.

Nous aimerions également entendre la parole de celles et ceux qui travaillent et dont les désirs de démission sont forts mais encore irréalisés : pourquoi démissionner, quelles hésitations, quels freins, quelles aspirations vers un autre travail ou un au-delà du travail ?

Nous cherchons aussi à comprendre comment le travail, l’exploitation, l’extractivisme, le sexisme, la hiérarchie, le rapport productif au temps et à l’espace (…), se prolongent dans les expériences de désertion, cet au-delà du travail qui souvent le reproduit malgré lui. Nous voulons donc écouter les histoires de ces espaces qui émergent et dans lesquels les gestes ne devraient pas être à vendre et où les humains et la terre ne devraient pas être épuisés. Que reste-t-il de l’institution travail et de ses normes dans les tentatives de désertion ?

Nous partons d’une des multiples définitions possibles du travail. Nous considérons comme travail toute forme d’activité contrainte par :

– le chantage économique (une activité qui permet de se payer un toit, de la nourriture, des déplacements, des prestations de santé… suffisamment pour toujours revenir travailler le lendemain matin, mais trop peu pour avoir les moyens de se passer définitivement du travail)

– la pression sociale (« réussir sa vie » selon les voies uniques de l’emploi et de la « création d’activités », le devoir moral et social de la « contribution » pour obtenir « rémunération », la nécessité de se positionner dans la hiérarchie sociale et avoir un statut…)

– la continuité latente et invisibilisée des deux contraintes précédentes au sein d’expériences désertrices qui étaient censées ouvrir des espaces protégés de ces contraintes.

La recherche qui nous anime s’intéresse à la construction de la parole démissionnaire et se met à sa disposition, par l’écoute, l’organisation de rencontres, l’échange d’expériences et la perspective de mettre en commun des moyens pour assurer communément la viabilité des voies démissionnaires.

La forme que cette recherche prendra, la régularité des rencontres, ses conséquences (ou non) sur nos réalités, feront l’objet de nos discussions futures.